vendredi 4 novembre 2016

[Focus] Ne pas oublier l’humain en protégeant la biodiversité

 
Les éléphants se promènent au milieu des maisons d'un village d'Assam en Inde (cliché: Annette Bonnier ; source)


Pour nombre d’Occidentaux, la nature est devenue une sorte d’entité sacrée dont les représentants animaux sont à protéger envers et contre tous. Nous pouvons être loin de nous imaginer les effets néfastes que peuvent avoir certaines espèces protégées sur les populations humaines tentant de cohabiter avec elles. Lorsque nous commençons à prendre conscience qu’un impact négatif est possible, celui-ci reste la plupart du temps au rang de dégâts matériels, de biens remplaçables. Dans le pire des cas, il peut s’agir de victimes humaines, blessées ou n’ayant pas survécu [1]. Néanmoins, les conséquences restent du domaine du court terme dans les esprits. Malheureusement, les acteurs de la vie politique sont atteints d’un regard identique sur ces problématiques, et ce même quand il s’agit des gouvernements des populations touchées.



Santé mentale: des conséquences dramatiques


Dans un article publié en 2012, Jadhav et Barua pointent du doigt l’absence de prise en compte des problématiques de bien-être et de troubles psychologiques dans ce que l’on appelle le « conflit humains-faune » [2]. Les chercheurs ont recueilli les témoignages détaillés de quatre familles ainsi que d’un groupe de discussion de villageois vivant dans la région d’Assam où la richesse par habitant est 40% plus basse que dans le reste de l’Inde. Cette région abrite également cinq des plus grandes réserves pour éléphants du pays. Il apparaît que ces conflits ont tendance à aggraver des inégalités sociales préexistantes, la pauvreté et la santé mentale. En Inde, ce sont 500 000 familles qui sont touchées par le conflit humains-éléphants. 


Culture ravagée (source)
Les dégâts après l'attaque d'un éléphant (cliché: NCF ; source)


En diminuant leurs zones d’habitats et en coupant les routes migratoires par la déforestation, la mauvaise gestion des politiques environnementales se répercutent non seulement sur le bien-être animale mais également sur celui des populations les plus pauvres. Poussés par la faim et une nourriture facilement accessible, les éléphants fondent en raid sur les cultures, les jardins, détruisent des maisons et peuvent faire des victimes [2,3]. Également amateur d’alcool, ils s’attaquent aussi bien aux distilleries qu’au promeneur imprudent transportant une bouteille.
L’alcool, un facteur qui lie humain et éléphant. Parce que les raids se déroulent souvent la nuit, les hommes augmentent leur consommation afin de se tenir éveiller après une longue journée de travail et pour se donner du courage lorsqu’ils doivent repousser les attaques. C’est aussi un moyen pour eux de supporter le stress et les ennuis liés aux ravages de leur culture et leur habitation [2]


Publicités diffusées par la WWF (2006/2007) alertant les villageois des dangers de l'alcool: "Si vous distillez de l'alcool n'importe où, alors soyez près à être harcelé par des éléphants" (à gauhe) ; "Après quelques verres l'homme saoûle erre seul, dan le noir les éléphants le piétinent et brisent ses os" (à droite)  (source: article d'origine)


Bien que les pouvoirs publics clament le remboursement des dommages, ceux-ci sont extrêmement difficiles à obtenir : paperasse à remplir, longues distances à parcourir, journées de travail entières perdues, etc. On comprend facilement qu’avec les difficultés financières, la fatigue du travail jour et nuit, l’angoisse des éventuels raids d’éléphants, la santé mentale des paysans en soit affectée. Les femmes ne sont pas en reste non plus, puisqu’aux tâches ménagères et à l’éducation des jeunes s’ajoute un surplus de travail manuel qui les exténue à leur tour [2].   

Certains services de soutien psychologique ont été mis en place de façon sporadique. Néanmoins, ici aussi les obstacles s’accumulent. Les malades n’ont généralement pas conscience de leur trouble. Lorsqu’ils souhaiteraient avoir accès à des soins, les établissements sont encore une fois très loin de leur lieu de vie, les traitements coûtent très cher et les files d’attente sont telles qu’ils doivent y perdre une journée entière. Passer outre la stigmatisation qu’incombe le fait de suivre un traitement psychiatrique est aussi une rude épreuve. Certains patients sont cependant suivis, mais arrivés à ce niveau, c’est régulièrement au tour de la prise en charge d’être inefficace [2].

 

Garde de nuit des cultures, attaque d'éléphants, défense via feux d'artifice: le quotidien des paysans pauvres en Inde




"Les éléphants viennent pour leur estomac, exactement comme nous le faisons pour nos estomacs"


Force est de constater que les gouvernements sont peu impliqués dans ces problématiques et que le rouleau compresseur des puissantes organisations de conservation ne prends pas suffisamment en considération les populations pauvres et leur besoin en ressources. Les stratégies de mise en place des frontières pour obtenir des zones sans être humain ou sans éléphant sont souvent complètement iniques aussi bien pour les animaux que pour les humains. Les conséquences se trouvent alors désastreuses même pour les éléphants pouvant subir des actes de vengeance de la part de personnes désespérées.
Il est ainsi urgent que des disciplines aussi variées que les sciences de la conservation, la santé publique et la géographie humaine réfléchissent ensemble pour dresser des mesures adéquates dans le conflit humains-faune pour le bien-être des deux protagonistes
[2].




Références


[1] Lamarque F., Anderson J., Fergusson R., Lagrange M., Osei-Owus Y. et Bakker L., 2010 – « Les conflits humains-faune en Afrique : Causes, conséquences et stratégies de gestion», Etude FAO : Forêts, n° 157 (lien) 
[2] Jadhav S. et Barua M., 2012 – « The Elephant Vanishes: Impact of human–elephant conflict on people’s wellbeing», Health and Place, vol. 18, n°6, p 1356-1365 (http://dx.doi.org/10.1016/j.healthplace.2012.06.019).

[3] Auteur non identifié, 2016 - " Indes: cinq paysans tués par des éléphants sauvages", FranceInfo avec AFP (lien)



BirdLady  
 

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