dimanche 23 octobre 2016

[Focus] Willy en déroute: Moby Dick aussi altruiste que Flipper ?



Une baleine à bosse interrompt l'attaque d'un groupe d'orques (cliché: John Durban; source)


Janvier 2009, au matin. Le Golden Fleece navigue tranquillement dans le détroit de Drake, passage séparant l’Amérique du Sud de l’Antarctique. À son bord, le Dr. Robert L. Pitman ne se doute pas encore de l’extraordinaire spectacle qui s’offrira à lui dans quelques minutes. Accompagné de son collègue, le Dr. John W. Durban, l’écologue marin mène une expédition visant à étudier le comportement de chasse des orques [1].


Dr Robert L. Pitman (Source)


Un comportement déroutant


L’observation débute de façon assez banale. Un groupe d’une dizaine d’orques, Orcinus orca, repère un phoque crabier, Lobodon carcinophaga, sur la banquise. L’attaque commence : ils créent une vague qui brise la glace, laissant le phoque dériver sur un morceau de banquise de la taille de son corps. C’est alors que deux baleines à bosse, Megaptera novaeangliae, débarquent et chargent. Elles nagent autour de la frêle embarcation du phoque, mugissant et frappant l’eau. Les orques n’ont d’autres choix que de s’en aller.

Une baleine à bosse permet à un phoque de se protéger
sur son ventre (cliché: Robert Pitman; source)
Quelques jours plus tard, la scène se répète. Cette fois, c’est un phoque de Weddell, Leptonychotes weddellii, qui est la cible des bien nommées baleines tueuses. Alors que les baleines à bosse arrivent sur le lieu de l’attaque, la proie a déjà été précipitée à l’eau. Elle nage vers l’un des géants des mers qui, de façon stupéfiante, roule sur lui-même pour la laisser se mettre à l’abri sur son ventre. 

« J’étais choqué, elles avaient l’air de vouloir protéger le phoque. » confie Pitman au magazine Science [1, 2].

Intrigué par ce à quoi il a assisté, le scientifique décide d’étudier le phénomène et lance un « appel à témoin » sur une liste de diffusion traitant des mammifères marins. Il en résultera un article publié en juillet 2016, compilant 115 descriptions de rencontres orques/baleines à bosse [3].


Des agresseurs harcelés


Les adeptes des chats, qui ont la chance d’avoir un jardin, ont certainement déjà dû assister au harcèlement de leur félin par une pie. Le houspillage (« mobbing » en anglais) est un comportement plus connu chez les oiseaux qui n’hésitent pas à crier sur leurs prédateurs, voire à les attaquer. Il est également observable chez les insectes, les poissons et les mammifères terrestres. Cette stratégie anti-prédation permet aux individus de signaler au prédateur qu’il a été repéré, de détourner son attention des jeunes et de demander aux autres de les aider à harceler et repousser l’indésirable [3, 4].



 

Un chat harcelé par deux pies.



Chez les cétacés, la particularité de leur environnement a rendu difficile l’étude de ce comportement. On connaît quelques cas de dauphins harcelant principalement des requins et à l’occasion des orques. Jusqu’ici, le mobbing avait reçu très peu d’attention chez la baleine à bosse. Mise à part l’être humain, cette dernière ne possède pas de prédateurs à l’âge adulte. Le seul danger avéré vise les baleineaux que la mère, aidée parfois d’autres membres du groupe, doit protéger contre les attaques d’orques [3].

Dans leur article, Pitman et ses collaborateurs ont pu extraire des résultats saisissants des descriptions de rencontres entre baleines et orques. Lorsque les baleines s’approchaient des orques, ceux-ci étaient quasi-systématiquement en train d’attaquer ou de manger une proie.  Les comportements des baleines dépeints alors étaient typiques du houspillage dans plus de la moitié des cas. De manière totalement inattendue, seuls environ 10% des individus attaqués étaient des baleines à bosse, les autres appartenaient à d’autres espèces (phoques, otaries, autres baleines, …). En outre, non seulement les sauveurs étaient indifféremment des mâles ou des femelles, mais les individus approchant pouvaient avoir parcouru jusqu’à sept kilomètres avant d’atteindre le lieu de l’attaque [3].

Pour quelles raisons ces baleines sont-elles capables de parcourir autant de distance et dépenser autant d’énergie à défendre des animaux qui n’appartiennent pas à leur espèce ?


Une explication simple loin de l’altruisme


Qu’une mère prenne des risques et accepte différents coûts pour défendre sa progéniture est facilement imaginable. La question commence déjà à être plus délicate lorsqu’il s’agit d’un autre individu de la même espèce. Pour qu’un tel comportement se produise, l’animal agissant ainsi doit avoir accès à des bénéfices. Lorsqu’il aide un individu qui fait partie de la même famille, cela lui permet de protéger des gènes qu’il pourrait avoir en commun avec cet individu et donc de favoriser leur propagation (sélection de parentèle) [5]. Si l’individu n’a aucun lien de parenté avec lui, le bénéfice pourra être acquis dans le futur lorsque cet individu rendra la pareille au sauveur (altruisme réciproque) [6]. Ceci sera facilité pour des animaux vivant en groupes sociaux par exemple. À noter que les membres d’une même famille peuvent également faire preuve d’altruisme réciproque en plus de retirer des bénéfices du phénomène de sélection de parentèle. Dans le cas des baleines à bosse, il a été établi qu’elles étaient très fidèles à leur site de reproduction ainsi qu’aux zones où elles se nourrissent. En portant secours à un baleineau inconnu, elles auraient donc de grandes chances de porter secours à un jeune de leur famille. De même, ce jeune pourra peut-être un jour porter secours à son tour au petit de son sauveur [3]




 

Un groupe d'orques tente de noyer un petit de baleine grise en le
maintenant sous l'eau. Deux baleines à bosse s'approchent. Le
baleineau ne survivra pas mais les orques seront contraints de
partir, chassés par les baleines à bosse.

 

Le bas blesse lorsque nous assistons à ce qui pourrait être de l’altruisme interspécifique, c’est-à-dire entre individus d’espèces différentes. Il est évident pour nos baleines que les phoques secourus ne font pas partie de leur famille… pas plus qu’ils ne pourront jamais leur venir en aide de quelque façon que ce soit. Selon Pitman, il pourrait tout simplement s’agir d’altruisme par erreur. « Je pense qu’ils ont juste une règle simple : quand tu entends une attaque de baleine tueuse, va la stopper. » confie-t-il à Science [2]. Dans ce contexte, si le bénéfice des interventions auprès des baleineaux dépasse le coût des interventions auprès des autres espèces, alors ce comportement pourrait se maintenir. Cette hypothèse pourrait être soutenue par le fait que certains témoignages de l’étude de Pitman rapportent que des baleines aient pu parcourir plusieurs kilomètres avant d’arriver sur le lieu de l’attaque. Celle-ci étant invisible à une telle distance, les baleines n’ont pu être attirées que par les vocalisations caractéristiques et frénétiques qu’émettent les orques une fois l’assaut commencé. Une autre hypothèse serait que ces confrontations répétées donneraient une bonne leçon aux orques : « Réfléchis-y à deux fois avant de t’embrouiller avec les baleines ! » Les orques seraient alors moins susceptibles de s’attaquer aux baleineaux [2,3].

Il est souvent reproché à la science de briser la magie des bonnes actions et des bons sentiments dont les animaux pourraient être capables. Finissons alors sur la conclusion romantique que donnait le Dr. Pitman de ses premières observations il y a 7 ans :

« Quand un être humain protège un individu en danger d’une autre espèce, nous appelons cela de la compassion. Si une baleine à bosse le fait à son tour, nous appelons cela de l’instinct. Mais parfois la distinction n’est pas aussi claire. » [1]



Références

[1] Pitman R.L. et Durban J.W., 2009 – « Save the Seal! », Natural History, Témoignage de Robert L. Pitman et John W. Durban (lien)

[2] Stokstad E., 2016 – « Why did a humpback whale just save this seal's life? », Science, article de vulgarisation (doi:10.1126/science.aag0681). (lien)

[3] Pitman R.L., Deecke V.B., Gabriele C.M., Srinivasan M., Black N., Denkinger J., Durban J.W., Mathews E.A., Matkin D.R., Neilson J.L., Schulman-Janiger A., Shearwater D., Stap P. et Ternullo R., 2016 – « Humpback whales interfering when mammal-eating killer whales attack other species: Mobbing behavior and interspecific altruism? », Marine Mammal Science (doi: doi:10.1111/mms.12343). (lien)

[4] Caro T.M., 2005 – « Antipredator defenses in birds and mammals », University of Chicago Press, Chicago, IL (doi: doi:10.1111/mms.12343). (lien)

[5] Wikipédia – « Sélection de parentèle » (lien)

[6] Wikipédia – « Evolution de l’altruisme » (lien)


 

BirdLady 


1 commentaire:


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